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Correcteurs en marge ?

  • Photo du rédacteur: Valérie Derinck
    Valérie Derinck
  • 7 avr. 2024
  • 2 min de lecture

Dernière mise à jour : 8 avr. 2024



Qu’on ne se méprenne pas : je ne compte pas profiter de ce petit billet pour pleurnicher sur mon sort. D’ailleurs, je ne me plains pas. Je suis satisfait de travailler à rendre le texte que l’éditeur m’a estimé apte à relire (merci à lui, ou à elle, de m’accorder cette confiance) – dans le but d’y débusquer ces quasi inévitables bestioles qu’on appelle « coquilles » ou ces accidents grammaticaux qui ne manquent presque jamais de surgir au milieu d’une phrase comme une fausse note dans l’orchestre et qui vous donnent l’impression qu’un vilain diablotin vient de vous faire un croc-en-jambe – à rendre, donc, ce texte un peu plus « dégagé », comme on le dirait d’une plage où se trouve réduit le risque de marcher sur un de ces coquillages pointus dont la simple évocation suffit à vous faire passer l’envie de fouler pieds nus le sable tiède.

Oui, je suis pleinement satisfait de travailler sur ces textes, à l’instar du tailleur de pierre éliminant les dernières scories de ce qui deviendra, à n’en pas douter, un joyau.

Dans un sens, je comprends sans peine pourquoi, malgré le travail qu’il effectue dans l’ombre, le lecteur-correcteur ne figure (presque) jamais dans la liste (parfois longue, très longue) des remerciements de fin d’ouvrage. Je comprends parfaitement pourquoi l’auteur a préféré citer sa femme, ses enfants ou même tel ou tel ami pour avoir concouru, d’une façon ou d’une autre, à faire de son livre ce qu’il est. L’écriture d’un livre est un acte qui engage, chez son auteur, un tel investissement émotionnel qu’il serait pour le moins étrange de ne pas y associer ses proches. Elle s’accompagne aussi d’une bonne dose de solitude que vient heureusement relativiser la présence d’un compagnon, d’un enfant, d’une amie, que sais-je encore. Le processus de fabrication du livre, fabrication au sens « matériel », disparaît alors comme un paysage romantique derrière la brume. Reconnaître que sa création nécessite l’engagement et le travail de toute une équipe reviendrait à dévoiler les rouages d’une machine dont on préfèrerait dissimuler l’existence afin de laisser au mythe de la chose révélée la possibilité de nimber son auteur de l’aura du créateur dans toute sa splendeur.

Encore une fois, loin de moi l’idée de plaider pour une sortie de l’anonymat. J’aime ce métier aussi en ce qu’il me permet de rester dans l’ombre tout en côtoyant des écrivains à travers leur prose. Pourtant, je ne cache pas que j’éprouve un plaisir certain à me rappeler cette petite pensée de Chris Whitaker pour sa correctrice à la fin de Duchess, ce magnifique roman : « Il y a des relecteurs-correcteurs, et puis il y a Maggie Carr. Merci pour le souci stupéfiant du détail, et pour m’avoir fait sourire dans les marges. Si tu es payée au nombre d’erreurs, j’ai dû faire de toi une millionnaire. »


Duchess, Chris Whitaker (Sonatine, 2022), relu par Maggie Carr et traduit de l’anglais par Julie Sibony.

 
 
 

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