La correction est-elle un art ?

« Ce matin, les premières épreuves des Émotions sont arrivées à Bruxelles. »

C’est par cette phrase que commence le chapitre 17 (si tant est que l’on puisse appeler ces courts paragraphes numérotés des chapitres) du dernier roman de Jean-Philippe Toussaint, L’Échiquier.

J’ai tout de suite aimé ce récit autobiographique de l’écrivain belge. Je sentais que quelque chose de fort allait se produire entre ces mots et moi. Jean-Philippe Toussaint parle de sa tentative pour faire quelque chose du confinement, cette parenthèse dont il supposait qu’elle pouvait durer un certain temps, de traduire Le Joueur d’échecs de Zweig.

Bref, voilà qu’au « chapitre » 17, l’écrivain parle de son roman, Émotions, dont il vient de recevoir les épreuves et dont il va falloir faire la relecture. « L’heure, je le savais, n’était plus aux grandes saignées intrusives, elle n’était plus qu’à l’inspection ultime des sutures, aux modifications infimes, aux vérifications de détail », écrit-il au début de ce premier paragraphe.

Écrire un livre est une chose bien difficile, soit, mais procéder à sa relecture avant publication en est une autre, non moins ardue. « La relecture des épreuves est un art spécifique, méticuleux, très technique. »

Et voilà que Jean-Philippe Toussaint compare cette phase ultime, après laquelle le texte ne pourra plus jamais être retouché, aux finales des parties d’échecs. « Il y a un gouffre évidemment, un contraste abyssal entre le soin scrupuleux qu’on prend pour remplacer un mot ou déplacer une virgule, et le résultat, à peine visible, qui en ressort quand on observe le résultat de l’extérieur. »

C’est à ce « à peine visible » qui est si passionnant à explorer quand on se rapproche de plus en plus du moment où le texte – chaque mot, ponctuation, espace – ne pourra plus être soumis à cette inspection ultime sans risquer d’être dénaturé.

L’Échiquier, Jean-Philippe Toussaint, Les éditions de Minuit, 2023 (roman en lice pour le prix Goncourt 2023)