Sisyphe, Donatien Leroy (Inculte, 2024)
- Valérie Derinck
- 2 mai 2024
- 2 min de lecture

Sisyphe fait un peu peur, lorsqu’on en commence la lecture. Sept blocs de texte, sept chapitres, de lundi à dimanche, une semaine sans paragraphes ni points. Sisyphe est comme la vie, qui nous effraie, parfois, mais dans laquelle on évolue, « comme des poissons dans l’eau ». On n’a pas vraiment le choix. Il faut entrer dans Sisyphe, sans tergiverser, et lire ce texte, puissant comme un rocher menaçant de nous tomber dessus. Le lire et se le dire, laisser place à une voix intérieure qui met en évidence les répétitions de la vie quotidienne, comme une mécanique bien huilée. Sisyphe est un texte fait pour être dit. C’est ainsi que je suis entrée dans ce roman et que je ne l’ai plus quitté pendant plusieurs jours. Même le livre fermé, sa voix était présente en moi.
Je remercie Donatien Leroy (et sa maison d’édition, Inculte) de nous livrer un texte dont le fond et la forme englobent la vie et l’humanité, en toute simplicité. Une telle expérience d’écriture aurait pu laisser sentir une forme d’arrogance, celle de l’auteur-qui-se-regarde-écrire. Mais non. Sisyphe est un roman simple et subtil, que son auteur a sans aucun doute écrit avec ses tripes, comme on dit. Un roman de l’urgence. Aller au plus court de la langue, sans d’autre intention que de nous faire sentir la vie d’un type lambda, qu’un événement, unique pour chaque être humain, mais finalement universel, vient bouleverser.
Les premières pages de Sisyphe nous plongent dans la routine d’un homme qui part au boulot le matin, toujours à la même heure, et que l’on voit rentrer chez lui le soir comme dans un film que l’on passerait à l’envers. Mais la subtilité du récit consiste à ne pas se complaire dans cette misère du quotidien, une vie de poisson rouge dans son bocal. D’une répétition infernale des moindres faits et gestes du quotidien, Donatien Leroy parvient à nous faire lentement glisser vers d’infimes changements. Quelques mots déplacés, ajoutés, supprimés, nous montrent que rien n’est irrémédiable. Un petit pas de côté, un regard différent sur la vie, des sentiments longtemps enfouis qui affleurent, des personnages pas si univoques que ça, et l’enfer devient tout d’un coup plus supportable.
Sisyphe, c’est l’histoire d’un type qui, peu à peu, se déleste de son rocher, et qui retourne vers une vie innocente : celle de l’enfance, de la rivière, de la nature, des bêtes sauvages, des gestes simples et vrais. La vie d’avant « la vraie vie » que nous impose la société. Une fois le livre refermé, face à nos peurs, nous savons que nous avons le choix de modifier, ne serait-ce que d’un pouce, le cours de notre existence.
Valérie Derinck, Écrit Sûr
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